L’auteur circonscrit son objet au Liban, à la Syrie, à la Jordanie et aux territoires palestiniens, autrement dit grosso modo au Bilad es Sham, cette entité géographique très ancienne dont les derniers projets d’unification se sont exprimés très brièvement au 20ième siècle. Même si elle a eu partie liée à l’histoire contemporaine de la région, l’Egypte n’est donc pas retenue, l’auteur considérant qu’elle est « sortie du Proche-Orient lorsqu’elle a signé les accords de Camp David en 1978 ». D’autre part, Israël est exclu du champ d’analyse, cet Etat se qualifiant d’ailleurs de juif tandis que sa construction nationale est très différente sinon singulière. Cependant, étant donné que l’Etat hébreu pèse fortement sur le destin du peuple palestinien, Fabrice Balanche évoque la réalité de son emprise dans les territoires, notamment au travers de la colonisation et du découpage territorial qu’il impose aux Palestiniens.
En géographe qu’il est, Fabrice Balanche s’intéresse avec finesse aux transformations de l’espace régional mais en se focalisant essentiellement sur la période contemporaine. C’est en effet surtout avec les ingérences européennes (britannique et française), les affirmations nationales et les conflits que l’espace s’est dessiné. Sur cet aspect de la conflictualité, l’auteur a raison d’écrire combien au Proche-Orient, « les frontières, la démographie, l’économie et plus généralement les constructions nationales sont largement influencées par le conflit ».
L’Atlas est scandé en huit parties. Le Proche-Orient étant soumis à la « dictature de l’aridité », Fabrice Balanche y consacre sa première partie car dans un tel contexte, il serait inconséquent de ne pas relever un certain déterminisme du milieu, ne serait-ce que sur les implantations humaines. La deuxième partie est consacrée à un déterminant historique lourd du découpage régional. L’auteur y revisite ainsi les stratégies d’acteurs internationaux (Ottomans, Britanniques et Fançais) si influentes sur le destin des peuples du Bilad es Sham. Parmi toutes cartes intéressantes, l’auteur nous en livre certaines que les feux de l’actualité viennent de nouveau éclairer, en particulier celles qu’il consacre aux Etats éphémères. La troisième partie est consacrée à une sorte de géopolitique interne, la géopolitique externe au sens lacostien étant évoquée dans la huitième. Ainsi Fabrice Balanche s’intéresse aux constructions nationales très contrastées de la Syrie, de la Jordanie et du Liban. Entre un Liban en proie au capitalisme marchand, une Syrie longtemps livrée aux desseins d’un certain socialisme arabe et une Jordanie à forte prégnance tribale, il n’est guère étonnant de voir que la territorialisation n’a pas été menée de la même manière. Les quatrième et cinquième chapitres sont consacrés aux questions démographiques et économiques, chaque double-page présentant de façon pédagogique des traits plus ou moins connus. L’auteur montre très bien notamment « l’affaissement » économique du Proche-Orient et l’adossement de plus en plus manifeste aux pays du Golfe. Sur le plan démographique, l’auteur livre également un diagnostic précis avec une approche intéressante de la montée en puissance des femmes. Le sixième chapitre est consacré aux logiques d’urbanisation très actives dans une région aride marquée du sceau de l’exode agricole et du boom démographique. Il est ainsi très intéressant de visiter les quatre grandes agglomérations de la région - Alep, Amman, Beyrouth et Damas -, avec une vision très claire de leurs transformations. La septième partie est consacrée à la géographie palestinienne, l’auteur ayant séparé cette réalité des autres, tant son destin s’en distingue du fait de l’occupation israélienne. L’histoire, l’économie, la démographie et l’urbanisation sont donc évoquées de nouveau ici mais dans le contexte palestino-israélien. Evidemment, la question de Palestine est la principale question géopolitique de la région, en tout cas à l’aune de sa résonnance. Pour autant Fabrice Balanche n’en oublie pas les autres sujets de géopolitique externe auxquels il consacre sa dernière partie : les questions hydropolitiques, le Golan, la question libanaise en tant que caisse de résonnance des conflits régionaux et internationaux, l’influence de la Turquie, la stratégie américaine sont ainsi tour à tour évoquées.
Cet Atlas s’appuie sur des textes ciselés et sur une très belle cartographie. Celle-ci est également très originale et pédagogique : originale car l’auteur propose des cartes régionales avec des informations souvent livrées à l’échelle du mohafazat, ce qui permet une approche comparatiste très précise. Pédagogique car en plus de la clarté elles montrent les logiques en dynamique. Fabrice Balanche articule ainsi très bien le temps et l’espace, autrement dit les deux variables du mouvement.
Pour toutes ces raisons et bien d’autres, cet atlas s’offre à tous ceux qui veulent comprendre le Proche-Orient.
L’Atlas du Proche-Orient arabe, de Fabrice Balanche, 136 pages. Une coédition RFI/Presses de l’Université Paris-Sorbonne, en vente en ligne et en librairie.